Trophées de l'édition 2021

Nonce Paolini : "Une économie de prototypes"

Nonce Paolini, président des troisièmes Trophées de l’édition. - Photo Olivier Dion

Nonce Paolini : "Une économie de prototypes"

Président des troisièmes Trophées de l’édition, l’ancien directeur général délégué de Bouygues Telecom, qui fut P-DG de TF1, est aujourd’hui quelque peu en retrait des affaires et a enfin du temps pour s’adonner à sa passion première, la lecture.  

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Par Propos recueillis par Anne-Laure Walter
Créé le 21.09.2021 à 19h24

Qu’est-ce qui vous a conduit à accepter la présidence de ces troisièmes Trophées de l’édition ?  
J’ai eu deux motivations. La première, c’est l’amitié. Patricia Barbizet, la précédente présidente, m’a appelé pour me proposer de me passer la main. Nous sommes très proches et je n’ai pu qu’accepter. La deuxième, c’est la curiosité. Je suis intrigué par toutes les facettes de l’édition, tous ces métiers de l’ombre. 13 catégories ! Je me demande quels vont être les dossiers que nous allons recevoir. 
 
L’édition est-il un monde que vous connaissez, vous qui gravitez dans la sphère des médias et de l’industrie depuis plus de trente ans?  
J’ai eu la chance d’être administrateur des éditions Tallandier pendant deux ans. J’ai trouvé passionnant le travail artisanal de l’équipe de la maison, cette proximité et cet accompagnement des créateurs, et cette prise de risques à chaque pari éditorial. A l’époque, Xavier de Bartillat m’avait demandé de faire un audit de la société et de lui soumettre des propositions d'organisation. Sur le plan éditorial, il n’avait pas besoin de mes lumières vous vous en doutez! Il m’a d’ailleurs permis de découvrir la donne économique complexe d’une maison d'édition et aussi des auteurs de grand talent. La première mesure que je lui ai conseillée de prendre a été de continuer à réduire les délais de paiement des auteurs et ayants droit, ce qui était une de ses préoccupations. Quand j’étais président de TF1, ce fut une de mes priorités. C’est non seulement légitime, mais en plus cela contribue à la confiance accordée à un éditeur. Par ailleurs, il se trouve que je suis très ami avec Ronald Blunden qui fut l’un des bras droits d’Arnaud Nourry, lorsqu’il était à la tête d’Hachette. Là, les questions étaient tout autres. Il s’agit de gérer un paquebot et sa flottille dans le monde entier, un modèle économique de grand groupe, qui joue notamment sur la péréquation des revenus. 
 
La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Peut-on établir certains parallèles entre la direction d’un groupe de télévision et celle d’une maison d’édition ?  
Qu’il s’agisse d’édition ou de production audiovisuelle, nous sommes dans une économie de prototypes. Chaque fiction est un pari et nous n’en connaissons le succès que lorsqu’il est arrivé. Je l’ai vécu à TF1 quand nous avons relancé la fiction française. Quand je suis arrivé à la tête de la chaîne en 2007, les séries américaines dominaient, ce qui présentait un intérêt économique car elles étaient moins chères à financer étant déjà amorties sur le marché américain et leurs recettes publicitaires assuraient une bien meilleure économie. Nous avons beaucoup travaillé avec les producteurs pour relancer la création française sous différents formats : programmes courts, séries de 52 minutes, unitaires. Et beaucoup de paris se sont révélés gagnants comme le programme court Les voisins, la série Profilage ou le téléfilm L’emprise, qui a réuni plus de 8 millions de téléspectateurs à sa première diffusion.

Vous êtes, depuis 2013, administrateur indépendant pour Fnac-Darty. Quel regard portez-vous sur la distribution des produits culturels ?  
J’ai des milliers de disques et de CD, principalement de jazz et des centaines de livres. Etudiant, j’ai toujours fouiné chez Gibert, puis à la librairie Fontaine à côté de chez moi, et surtout à la Fnac, principalement pour les disques, une véritable addiction! Nommé au conseil d’administration, je me suis retrouvé en terrain connu, car j’avais déjà travaillé avec la Fnac qui était un de mes distributeurs quand j’étais chez Bouygues Telecom. J’ai participé avec les autres membres du Conseil au développement visionnaire de la stratégie omnicanale imaginée et conduite par Alexandre Bompard. J’ai continué jusqu'à présent à suivre l’aventure avec passion. La Fnac s’est beaucoup diversifiée avec l’intégration de Darty d’abord. Puis de Nature & Découvertes. Enrique Martinez a profondément transformé ce groupe avec une approche client novatrice : la crise sanitaire a validé brillamment ses choix. La complémentarité des modèles de ventes physiques et numériques est désormais incontournable. 

Et vous, commandez-vous vos livres sur Internet ? 
Je reste vieille école et j' adore la fréquentation des rayons des librairies. Feuilleter et sentir l’odeur d’imprimerie est un sentiment voluptueux! Mais parfois la commande sur internet s’impos : je voulais relire Démocratie et totalitarisme de Raymond Aron dont les œuvres ont malheureusement complètement disparu des rayons! Alors j’ai commandé sur internet.   

Que lisez-vous ?  
J’adore l’histoire, je lis Waresquiel, Lentz qui est un ami, Kersaudy, Tulard, Miquel et Braudel... Et je relis avec délices les classiques : Mauriac, Camus, Flaubert, Dumas, Stendhal, etc. Dernièrement j’ai lu Le goût du malheur de Jean-Marie Rouart (Gallimard, 1993), parce que je venais de finir L'euphorie perpétuelle : essai sur le devoir de bonheur de Pascal Bruckner (Grasset, 2000). Je voulais compenser sans doute! C’est d’une finesse, d’une intelligence. Je vous le recommande. Je suis aussi un passionné de la bande dessinée, mais moi c’est la ligne claire ! Jacobs, Greg, Maurice Tillieux, Franquin qui est un génie absolu ou encore Hergé ou Giraud. J’ai 250 figurines de Tintin. Je suis un dingue de cette période. Ce n’est pas uniquement par nostalgie de ma jeunesse disparue, mais je m’émerveille constamment du génie graphique de ces dessinateurs. Je suis un gros lecteur, depuis toujours. J’ai étudié Stendhal en maîtrise. J’étais fasciné par le comte Mosca dans La Chartreuse de Parme. Quand je travaillais, je ne pouvais pas m’endormir sans avoir lu un chapitre d’un livre quel qu’il soit. C’était pour moi essentiel, une nourriture dont j’avais besoin. Alors aujourd’hui, je lis du matin au soir, y compris de grands auteurs de polars comme James Lee Burke, Philip Kerr, Pierre Lemaitre ou Simenon par exemple. 
 
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En tant qu’homme de télévision, que pensez-vous de la place du livre sur le petit écran ?  
Je regarde souvent « La Grande librairie », c’est un très joli format et François Busnel est remarquable. Quand je suis arrivé à la tête de TF1, « Vol de nuit » était à l'antenne. A son arrêt un an plus tard, j’ai programmé « Au Field de la nuit ». Le concept proposé par Michel Field m'a séduit : mettre des lycéens face à des auteurs. Ça a été à l’antenne pendant sept ans, jusqu’au départ de Michel pour France Télévisions. Une émission littéraire est compliquée à programmer sur une chaîne privée. Il faut dire que les patrons d’antenne considèrent à juste titre que ça fait perdre un ou deux points d’audience journalière ! Mais j’ai tenu bon : 200 000 à 300 000 téléspectateurs à une heure tardive était déjà une satisfaction et nous touchions avec le  replay des professeurs de français s’en servaient en cours…C’est mon côté service public ! Je n’ai pas réussi à faire la même chose sur le jazz. Hélas !
 
Pour revenir aux Trophées de l’édition, qu’attendez-vous des candidats ?  
Qu’ils me surprennent. Qui sont-ils ? Gros éditeurs ou petits ? Dans des groupes ou indépendants ? Qu’ont-ils dans la tête ? Où se loge l’innovation ? La curiosité se confirme à chaque fois qu’on en parle. J’ai hâte de me mettre au travail avec le jury.  

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