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Les stars attaquent

Les stars attaquent

Saint-Germain-des-Prés est-il en passe de devenir le nouveau Voici ? Depuis une dizaine d’années, les stars envahissent le roman, et ce dès le titre. Mais celles-ci ne se laissent pas faire et parfois attaquent les éditeurs comme de vulgaires magazines people, invoquant l’utilisation frauduleuse de leur nom à des fins commerciales.

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Par Anne-Laure Walter
avec Créé le 17.10.2013 à 18h49 ,
Mis à jour le 03.04.2014 à 17h10

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Le 5 juin dernier, lorsque Grégoire Delacourt et son éditeur Lattès ont reçu la lettre de l’avocat de Scarlett Johansson, ils ont été pour le moins surpris. « Ce ne sont pas vraiment les nouvelles que j’attendais de l’actrice ! » déplore Karina Hocine, l’éditrice du roman. En effet, ils s’étaient déjà pris à rêver d’une adaptation au cinéma de La première chose qu’on regarde avec Scarlett Johansson dans le rôle de son sosie, Jeanine Foucamprez. L’héroïne de Lost in translation a peu goûté les soixante premières pages du roman où le héros, adepte des poitrines généreuses, découvre la star sur le pas de sa porte. « C’est quoi ce pervers louche ? s’emporte-t-elle dans le Vanity Fair français. Un dingue misogyne ? J’y crois pas. On dirait la version française de Fifty shades of Grey… » Elle a chargé un avocat français, Me Vincent Toledano, de poursuivre Lattès pour « l’exploitation frauduleuse et illicite de son nom, de sa notoriété et de son image au mépris de ses droits de la personnalité pour les besoins de la commercialisation et de la promotion d’un ouvrage ».

Ce roman de l’auteur du best-seller La liste de mes envies a déjà été vendu dans de nombreux pays dont les Etats-Unis. Les parutions ne sont pas prévues avant six à douze mois, mais les partenaires étrangers, inquiets, ont tous contacté Lattès. La négociation des droits cinématographiques a aussi été interrompue. « Nous avons tout paralysé », précise Karina Hocine.

McEnroe.

Echaudée par l’affaire, l’éditrice vient de changer au dernier moment le titre d’un des romans de la rentrée, celui d’Arnaud Friedmann, qui s’appelait Le fils de John McEnroe. Il a été rebaptisé Le tennis est un sport romantique. « J’ai rendu en juin le manuscrit et je suis parti en vacances, raconte l’auteur. C’est alors que mon éditrice m’a appelé et qu’en quelques jours, par téléphone, nous avons dû trouver en panique un nouveau titre. » Sur le thème de la filiation et de la fidélité aux rêves d’enfant, le livre raconte l’histoire d’un garçon, né de père inconnu. Alors qu’il regarde la finale de Roland-Garros en 1984, sa mère affirme que son géniteur est John McEnroe, et il grandit dans ce fantasme (1). « Cest un renoncement contextuel qui me désole, explique l’éditrice. Je détesterais l’idée que l’inspiration romanesque soit désormais contrôlée par la menace de lettres d’avocats. »

Surtout qu’avec la production romanesque actuelle, Hollywood et la Croisette peuvent s’en prendre à la moitié des éditeurs de Paris ! En effet, après la vague de l’autofiction, où l’auteur se nourrit de sa vie et de celle de ses proches, anonymes pour la plupart, on assiste depuis le début des années 2000 à la multiplication des romans d’inspiration biographiques, comme le prix Goncourt 2007, Alabama song de Gilles Leroy, sur Zelda Fitzgerald.

Dans cette même veine, les personnalités publiques deviennent des personnages de roman et le name dropping va bon train. Dans La carte et le territoire, Michel Houellebecq fait du présentateur du 13 heures de TF1, Jean-Pierre Pernaut, un intellectuel gay, collectionneur d’art contemporain.

Voyant passer de plus en plus de fictions en relecture avant publication, l’avocat Emmanuel Pierrat note que « ce phénomène correspond à la“breateastonellisation? de la littérature française », en référence au romancier américain qui fut l’un des premiers à user de la citation de noms connus et de marques. Si l’on considère la production depuis cinq ans, plus d’une vingtaine de romans citent une star dans leur titre (voir p. 14), de Johnny Depp à George Clooney en passant par Mick Jagger, Lady Gaga ou Michael Jackson.

La personnalité ne se retrouve pas forcément dans l’intrigue mais apparaît comme icône, renvoyant à la mythologie collective. Et le roman se fait l’écho de la réalité, reprenant les starlettes du moment, phénomène de société. Il ne serait pas surprenant de retrouver l’égérie de la téléréalité Nabila - « Allô, quoi ? » - dans une fiction, tout comme en son temps Loana dans Marie-Claire à double tour de Pierre Tartakowski (Eden), l’histoire d’une adolescente à la dérive qui se confie à sa sœur idéale, la vedette du « Loft ».

Les arguments de

Voici

et

Closer

.

Ces stars, qui deviennent des marques, ne se laissent cependant pas faire quant à l’utilisation de leur image. Thomas Lélu avait écrit Je m’appelle Jeanne Mass (Léo Scheer, 2005), l’histoire hallucinée d’un videur qui avait peu de choses à voir avec la chanteuse bicolore. Il s’est fait attaquer pour « utilisation d’un nom à des fins commerciales ». Scarlett Johansson, qui affirme défendre en tant qu’artiste la liberté d’expression, fait savoir par le biais de son avocat que « de tels procédés à des fins purement mercantiles sont sans lien avec la création ». Auteurs et éditeurs se font donc attaquer comme s’ils publiaient une photo volée, et se retrouvent à prendre les arguments traditionnels des Voici et Closer. « Quand on s’expose publiquement, on prend le risque que l’on parle de votre vie », plaide Karina Hocine qui n’avait pas envisagé de faire relire par l’avocat de la maison le roman de Grégoire Delacourt.

Aux Etats-Unis, la fiction passe par les services juridiques au même titre que la non-fiction. Chez Gallimard, Jean-Marie Laclavetine se souvient d’avoir reçu Alain Delon est une star au Japon d’un auteur maison, Benjamin Berton. « L’acteur ayant menacé d’attaquer, le service juridique a pris au sérieux ce risque de procès et nous avons refusé le texte », regrette l’éditeur. C’est le seul roman de l’auteur à avoir été publié ailleurs, chez Hachette Littératures en l’occurrence.

L’accroche marketing, qui fait que le lecteur sera tenté de prendre le livre en main, est un art subtil et nécessaire. C’est d’ailleurs souvent l’éditeur et non l’auteur qui trouve le titre. Pour Christophe Lucquin, qui dans sa maison, LC éditions, a créé la collection « Fantasmes », qui regroupe des ouvrages portant des noms de personnalités en titre comme Comment j’ai couché avec Roger Federer ? de Philippe Roi, « le procédé est utile pour un petit éditeur comme moi qui n’a pas de visibilité. Les lecteurs sont curieux de ce genre d’ouvrages, ça peut rappeler cette presse people dont les gens sont friands ».

En librairie, les professionnels sont mitigés. « Il y a plutôt une défiance de mes clients si un auteur fait appel à une célébrité dans le titre, explique Caroline Bertelot de La Femme renard à Montauban. C’est comme du racolage. Personnellement je me méfie de ce genre d’accroche. » Cependant, elle se souvient de Comment j’ai piqué la petite amie alien de Johnny Depp signé Gary Ghislain (La Martinière) et remarque que, « dans ce cas, le procédé peut attirer vers la lecture des adolescentes ! ». Surtout que souvent, ces titres en clin d’œil à la culture populaire annoncent un texte à la tonalité joyeuse. L’humour sous-jacent permet aussi de parler plus légèrement de sujets parfois graves, l’intégrisme religieux et l’islamophobie, par exemple dans J’ai épousé Johnny à Notre-Dame-de-Sion de Fariba Hachtroudi (voir ci-contre).

Dérision ou opportunisme.

« On aime ce côté décalé, le titre qui fait mouche et qui fait vendre, explique Morgane Merle Bargoin de la librairie Il était une fois, à Billom. Si ça reste un bon roman, ça désacralise la littérature et les célébrités. » Elle fait cependant bien la différence. « Il y a deux démarches distinctes : ceux qui utilisent la dérision et ceux qui veulent attirer le lecteur par opportunisme. Ce procédé peut être à double tranchant ! »

Car, bien utilisé, un nom propre renvoie en deux mots à tout un univers. Cyril Montana qui a signé La faute à Mick Jagger, qui ne parle pas du tout du chanteur des Rolling Stones, explique que dès la couverture, « le lecteur voit la fameuse langue tirée et se trouve projeté dans les années 1970 ». C’est aussi parce que, avec un nom, le sens du roman de Dominique Resch était résumé qu’Emmanuelle Vial l’a titré C’est qui Catherine Deneuve ?. « Ce nom propre renvoyait immédiatement à l’univers du glamour patrimonial, explique la responsable d’Autrement. Catherine Deneuve, c’est comme la baguette et le camembert, une image de la France. Que son nom ne parle pas aux élèves montre bien le hiatus qu’il y a entre leur monde et celui des professeurs. » Un titre « raconte déjà le livre, doit faire ressentir au lecteur possible, dans la librairie, la tonalité de la narration », explique Jean-Marie Laclavetine, qui a intitulé le prochain roman de Jean Hazfeld, à paraître chez Gallimard le 22 août, Robert Mitchum ne revient pas, en référence au chien d’un des protagonistes qui porte le nom de l’acteur. « Ce patronyme donnait quelque chose d’énigmatique et de chaleureux au livre, car la figure de Mitchum est évocatrice, à la fois cabossée et très humaine. » Et en ces temps moroses, une dose de légèreté, de paillettes et de glamour ne peut pas faire de mal.

< A.-L. W. avec M. Q.

(1) Voir l’avant-critique dans LH 958, du 14.6.2013, p. 49.

[[asset:box:80855 {"field_asset_box_title":["Scarlett Johansson, John McEnroe, Johnny, Britney Spears, Robert Mitchum\u2026."],"field_asset_box_body":["\u003Cp\u003EDepuis les ann\u00e9es 2000, les people s\u2019affichent d\u00e8s la couverture des romans. Quelques exemples de ces ic\u00f4nes des titres.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cstrong\u003EChanteurs.\u003C\/strong\u003E\u003Cem\u003EMichael Jackson\u003C\/em\u003E de Pierric Bailly (P.O.L), \u003Cem\u003EDans la peau de Lady Gaga\u003C\/em\u003E d\u2019Erwan Chuberre (Grimal), \u003Cem\u003ELe ravissement de Britney Spears \u003C\/em\u003Ede Jean Rolin (P.O.L), \u003Cem\u003ELa faute \u00e0 Mick Jagger \u003C\/em\u003Ede Cyril Montana (Le Dilettante), mais aussi \u003Cem\u003EPetit d\u00e9jeuner avec Mick Jagger \u003C\/em\u003Ede Nathalie Kuperman (L\u2019Olivier), \u003Cem\u003EJ\u2019ai \u00e9pous\u00e9 Johnny \u00e0 Notre-Dame-de-Sion \u003C\/em\u003Ede Fariba Hachtroudi (Seuil), \u003Cem\u003EComment j\u2019ai mis un coup de boule \u00e0\u003C\/em\u003E \u003Cem\u003EJoeyStarr\u003C\/em\u003E de Max Monnehay (LC \u00e9ditions) ou \u003Cem\u003EJe\u003C\/em\u003E \u003Cem\u003Em\u2019appelle Jeanne Mass de \u003C\/em\u003EThomas L\u00e9lu (L\u00e9o Scheer).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cstrong\u003EActeurs. \u003C\/strong\u003E\u003Cem\u003ERobert Mitchum ne revient pas \u003C\/em\u003Ede Jean Hatzfeld (Gallimard),\u003Cem\u003E Alain Delon est une star au Japon\u003C\/em\u003E de Benjamin Berton (Hachette Litt\u00e9ratures),\u003Cem\u003E C\u2019est qui Catherine Deneuve\u003C\/em\u003E \u003Cem\u003E? \u003C\/em\u003Ede Dominique Resch (Autrement), \u003Cem\u003EMoi aussi je suis Catherine Deneuve \u003C\/em\u003Ede Pierre Notte (Avant-sc\u00e8ne th\u00e9\u00e2tre), \u003Cem\u003EVie et opinions de Maf le chien et de son amie Marilyn Monroe \u003C\/em\u003Ed\u2019Andrew O\u2019Hagan (Bourgois), \u003Cem\u003ETom Cruise m\u2019a vol\u00e9 ma vie \u003C\/em\u003Ede Guillaume de La Croix (Flammarion) ou \u003Cem\u003EDear George Clooney, tu veux pas \u00e9pouser ma m\u00e8re\u003C\/em\u003E \u003Cem\u003E?\u003C\/em\u003E de Susin Nielsen (H\u00e9lium), \u003Cem\u003EComment j\u2019ai piqu\u00e9 la petite amie alien de Johnny Depp \u003C\/em\u003Ede Gary Ghislain (La Martini\u00e8re).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cstrong\u003ESportifs.\u003C\/strong\u003E\u003Cem\u003EComment j\u2019ai couch\u00e9 avec Roger Federer\u003C\/em\u003E \u003Cem\u003E?\u003C\/em\u003E de Philippe Roi (LC \u00e9ditions), \u003Cem\u003ELe viol de Mike Tyson \u003C\/em\u003Ede Patrick Besson (Mille et une nuits), \u003Cem\u003ELooking for Eric\u003C\/em\u003E de Marc Dolisi sur Cantona (Le Serpent \u00e0 plumes) ou \u003Cem\u003ELa\u003C\/em\u003E \u003Cem\u003Em\u00e9lancolie de\u003C\/em\u003E \u003Cem\u003EZidane\u003C\/em\u003E, un essai de Jean-Philippe Toussaint (Minuit)\u003Cem\u003E.\u003C\/em\u003E\u003C\/p\u003E"]}]]

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